15 Avril 2021
Les pêcheurs des Côtes-d’Armor « en guerre » contre un parc éolien en mer
Par Benjamin Keltz, Rennes, correspondance
Publié le 14/04/2021 - Le Monde
Le gouvernement compte répondre dans les prochains jours à l’inquiétude suscitée par l’impact de cette infrastructure sur la ressource halieutique de la baie de Saint-Brieuc.
« Désormais, nous sommes en guerre », tambourine Alain Coudray. Président du comité des pêches des Côtes-d’Armor, le sexagénaire écrase ses bras tatoués jusqu’aux paumes sur son bureau. Il ne veut plus entendre parler du parc éolien offshore de la baie de Saint-Brieuc censé produire, d’ici à fin 2023, de l’énergie renouvelable pour 835 000 personnes.
Lorsque, en mars, le promoteur, Ailes marines, filiale de la société espagnole Iberdrola – l’un des leaders mondiaux des énergies renouvelables –, a annoncé attendre les autorisations des services de l’Etat pour démarrer l’installation des soixante-deux éoliennes de 8 mégawatts dressées sur 75 km² en Manche, M. Coudray a définitivement claqué la porte des discussions.
Depuis 2007, le professionnel représente pourtant les 800 marins pêcheurs œuvrant sur les quelque 300 bateaux costarmoricains. Malgré les évolutions techniques du projet, le président du comité des pêches estime ne pas avoir reçu de réponses rassurantes quant à son impact sur la ressource halieutique. Dans la bouche d’Alain Coudray, la « guerre »annonce une bataille navale grandeur nature.
Au moindre mouvement au large annonciateur du début de chantier, les marins pêcheurs promettent d’armer leurs navires pour empêcher les travaux. Le comité des pêches annonce la fronde des « bonnets bleus », en référence au mouvement des « bonnets rouges », impulsé par des représentants du monde agroalimentaire breton, qui avait fait capoter l’écotaxe en 2013.
« Tout va crever »
Sur le quai du port de pêche d’Erquy, Cyrille Le Duc compte manifester. Peu importe qu’il soit actuellement en arrêt maladie, le marin pêcheur embarquera sur son Voltigeur. Il a acheté ce petit bateau en bois construit en 1959 à son ancien patron, en 2016, pour 50 000 euros. Un investissement raisonnable tant la pratique de la pêche se révèle être une activité prospère grâce à l’abondante ressource de la baie : coquilles Saint-Jacques, crabes, homards, bulots, seiches… « Depuis des décennies, les pêcheurs se soumettent aux contrôles, aux quotas, aux ajustements des outils de pêche pour préserver le milieu. Alors que nous avons été exemplaires et vertueux, on nous impose ce parc qui va tout détruire », s’agace Cyrille Le Duc. Le père de famille montre du menton « la menace » qui s’agite déjà en face.
« LES BRUITS DES TRAVAUX PUIS DES PALMES QUI TOURNERONT VONT SE PROPAGER DANS L’EAU. LES ESPÈCES VONT INÉVITABLEMENT MIGRER POUR NE PLUS REVENIR », LANCE BRUNO SEVENEC
Sur la plage de Caroual, des engins de chantier enfouissent pour le compte de Réseau de transport d’électricité (RTE) deux câbles de 225 000 volts. Ailes marines prévoit au moins dix-huit mois de travaux pour les ensevelir ensuite jusqu’au parc localisé à 16 km de la côte et forer les sols pour implanter les mâts. Bientôt, les zones des travaux seront interdites à la navigation. « Le pire, c’est le bruit ! lance, fataliste, Bruno Sevenec, patron de l’Etoile-des-mers. Les bruits des travaux puis des palmes qui tourneront vont se propager dans l’eau. Les espèces vont inévitablement migrer pour ne plus revenir. Les forages, eux, vont générer une masse de sédiments qui va recouvrir les fonds. Tout va crever. »
Ailes marines défend à terme un effet « récif » du parc pour la biodiversité locale. Quant aux impacts constatés lors des travaux, le promoteur promet « des compensations ». L’entreprise a aussi annoncé la création d’une centaine de postes pérennes dans les Côtes-d’Armor.
Des centaines de destructions d’emplois
A Erquy, le maire Henri Labbé (Divers centre) hausse les épaules, agacé. « Erquy repose sur deux piliers économiques : le tourisme et la pêche. Si nous attirons 500 000 touristes chaque été, c’est grâce à notre port de pêche. Il incarne l’identité de notre territoire. Nous pouvons accueillir autant de visiteurs trois mois durant grâce à la pêche, qui permet à notre commune de vivre à l’année. Ce parc éolien va dégrader tout notre écosystème », insiste l’édile, qui prédit des centaines de destructions d’emplois. Lui et son équipe municipale s’estiment « abandonnés ».
Seule une poignée d’élus, comme le député Marc Le Fur (Les Républicains), a accepté de soutenir le projet alternatif et expérimental présenté en janvier par les pêcheurs. Il s’agit d’un parc flottant produisant de l’hydrogène grâce à la houle, jugé moins invasif, mais tout aussi productif. Pas question de retoquer le projet initial pour Loïg Chesnais-Girard, président du conseil régional (Parti socialiste) : « Les énergies marines sont une filière d’avenir pour la Bretagne, tout comme la pêche, que nous voulons absolument préserver. Nous pouvons encore trouver des points d’accord. »
Pour maintenir les espoirs d’une cohabitation en baie briochine, la préfecture maritime de l’Atlantique et celle des Côtes-d’Armor ont gelé les autorisations nécessaires aux travaux en mer. La consigne a été donnée par le gouvernement. La ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, et la ministre de la mer, Annick Girardin, souhaitent reprendre la main sur ce dossier jugé « crucial ».
Alors que la France ne compte aucun parc offshore en activité quand 5 000 éoliennes tournent ailleurs dans les eaux européennes, les ministres comptent s’exprimer dans les prochains jours pour « remettre en perspective la position du gouvernement sur l’éolien en mer » et ainsi « défendre la nécessité d’un mix énergétique ». Des propos très attendus par les pêcheurs bretons.