Faut-il se méfier de la méthanisation en Bretagne ?
Parée de toutes les vertus dès les années 2010, la méthanisation, qui touche de plus en plus nos territoires, est aujourd’hui confrontée à des inquiétudes et des questionnements de la part des associations et riverains, jusqu’à de sévères remises en question y compris par certains professionnels de la filière. C’est ainsi que le Sénat fait le constat d’une « acceptabilité contrariée » et en appelle à un modèle de la méthanisation à la française, pour éviter les excès, former et professionnaliser le secteur, accélérer la recherche et mener les évaluations qui s’imposent.
Ci-dessous vous trouverez un exposé succinct des différents points clés du sujet pour vous aider à vous positionner et à renforcer votre vigilance.
La méthanisation est un procédé biologique qui permet, à partir de matières organiques, de produire de l’énergie renouvelable, le biogaz (mélange de CO2 et de méthane), et un ensemble de résidus, le digestat (caractéristiques proches d’un compost), utilisable comme fertilisant.
Il consiste à chauffer, à différentes températures, et à brasser pendant plusieurs semaines, au sein de grandes cuves appelés méthaniseurs ou digesteurs, des intrants, composés de matières agricoles (lisiers, fumiers, résidus de cultures…), de bio déchets (issus des ménages et collectivités), de déchets de l’industrie agro-alimentaire, et de boues de stations d’épuration, permettant ainsi leur dégradation par des bactéries.
Dans le contexte de l’abandon progressif des ressources fossiles et des mesures à prendre contre le réchauffement climatique, cette filière, sous l’effet de mesures politiques et de soutiens financiers, est en plein essor en France mais reste bien loin du développement constaté en Allemagne et au Danemark par exemple.
Ses atouts sont incontestables :
En France, la moitié des installation existantes concerne des installations agricoles, et en Bretagne, première région agricole, c’est 80% des méthaniseurs qui sont installés « à la ferme » sur environ 180 installations recensées au 3° trimestre 2021, installations qui occupent 1% des terres agricoles.
Les aides financières comprennent des subventions directes d’investissement, et indirectes par les tarifs garantis de rachat du gaz sur 15 ans (supérieurs aux tarifs garantis de l’éolien terrestres).
Au fil du développement, les retours d’expérience des installations en fonctionnement et l’avancée de la recherche scientifique ont mis en évidence un certain nombre de risques pour lesquels il faut mettre en place des parades, organiser des mesures de prévention/précaution et communiquer largement sur les bonnes pratiques à adopter.
Les riverains, agriculteurs, associations environnementales sont ainsi divisés quant à la balance avantages/risques et les évolutions à venir.
La Région Bretagne, en pointe sur le sujet a d’ailleurs lancé une étude d’évaluation environnementale dont les résultats devraient être connus dans le courant de cette année.
Les enjeux de la méthanisation sur notre territoire s’inscrivent dans les projets à mettre en œuvre dans les domaines de la qualité de l’eau et de la santé publique, du rééquilibrage entre une agriculture industrielle et une autre plus respectueuse de l’environnement, du réchauffement climatique, de la préservation de l’attrait touristique tout en développant un emploi local stable, et de la restauration de sa fragilité énergétique.
Les interrogations les plus fréquemment énoncées sur les risques encourus sont les suivants :
La méthanisation présente l’avantage de réduire l’émission de gaz à effet de serre de trois manières :
Mais elle n’est pas à l’abri de fuites de méthane provenant d’installations défectueuses, d’accidents d’étanchéité ou de surproduction ponctuelle. Or ce méthane (comme celui produit par la digestion et les excréments des ruminants) est 30 fois plus réchauffant que le CO2.
D’autre part, le stockage des matières avant et après traitement, ainsi que l’épandage, sont susceptibles, si certaines précautions ne sont pas prises, de rejeter dans l’atmosphère du protoxyde d’azote et de l’ammoniac.
Enfin, le CO2 obtenu après purification du biogaz pour obtenir du biométhane doit être valorisé, et redistribuer aux industriels pour ne pas être rejeté dans l’atmosphère.
Un guide des règles de sécurité a été édité en 2018 par l’INERIS (Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques), complété par un arrêté de juin 2021, pour donner un cadre prescriptif, mais qui reste encore en retrait pour imposer des seuils d’alertes à ne pas dépasser.
Les fumiers et lisiers utilisés ont un pouvoir de production de méthane faible et doivent donc souvent être complétés par des résidus de cultures pour assurer un rendement optimum. Cela amène certains à cultiver des plantes telles que maïs ou sorgho spécialement pour les besoins du digesteur, au détriment des prairies et des cultures alimentaires. De plus il faut anticiper et craindre une dérive potentielle désastreuse en bilan carbone, qui consisterait à importer de grandes quantités de matières organiques pour faire tourner une installation en sous-capacité.
En France le recours à ces intrants agricoles est limité à 15 % des quantités entrées dans le digesteur, loin des 75 % existant en Allemagne. Mais ce seuil est dans la réalité dépassé, contribuant notamment aux très fortes hausses actuelles des cours des plantes fourragères. C’est une des raisons pour lesquelles des instances pourtant favorables à la méthanisation, telles que France Nature Environnement et la Confédération paysanne, souhaiteraient que ce taux soit ramené à 10 %.
La vigilance reste de mise par rapport aux grosses installations qui revendent leur biogaz aux fournisseurs d’énergie, dont les prix sont garantis sur une période de 15 ans et dont l’arbitrage économique par rapport aux revenus agricoles, instables, sujets à des crises, des phénomènes météorologiques et des problèmes sanitaires, risque d’être faussé. La production industrielle de biogaz prendrait alors le pas sur la production agricole au nom de la rentabilité.
Le dimensionnement des installations, pourrait, dans l’objectif de les faire tourner à pleine capacité, pousser certains à l’extension des élevages industriels ainsi qu’à détourner des déchets déjà traités de manière valorisante, et utiliser des déchets nécessitant le recours intensif à des transports ou de qualité moindre (pesticides, modes d’élevage…) en limitant ainsi l’objectif global de réduction des déchets et d’émission de gaz à effet de serre.
Réglementation, vigilance et contrôle s’imposent donc pour ne pas cautionner indirectement une agriculture intensive sous le prétexte de la valorisation des déchets, car « le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas ».
La règlementation des installations de méthanisation est celle des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) qui est plus ou moins contraignante selon le dimensionnement et le type d’intrants de l’unité.
Malheureusement cela ne préserve pas des accidents de pollution accidentelle notamment à l’ammoniac, comme ce fut le cas à Châteaulin en 2020 ou 400 m3 de liquides concentrés en ammoniac se sont déversées dans la rivière locale alimentant en eau potable 49 communes du Finistère, faute de règlementation insuffisante ou non respectée.
D’autre part, le digestat répandu au titre d’engrais naturel ne répond qu’insuffisamment aux problèmes de pollution par les nitrates du fait de l’usage excessif d’engrais agricoles, même si une étude a pu démontrer une diminution du préjudice quand l’engrais chimique est remplacé par du digestat. En effet la méthanisation ne dégrade pas l’azote contenu dans les déchets à traiter.
Elles sont rarement les bienvenues surtout quand elles s’installent à proximité des habitations.
Les craintes exprimées concernent les risques d’explosion, les risques biologiques sanitaires, les nuisances olfactives, les bruits et la pollution de l’air résultant de l’augmentation des flux de transport. Si ces risques sont réels et se matérialisent par des accidents de plus en plus nombreux ils sont le fruit du non-respect de la règlementation, de négligences techniques, de méconnaissance de la part des opérateurs, et constatés essentiellement au démarrage de l’installation. D’où la nécessité d’une surveillance accrue et d’instances de suivi appropriées.
Les enquêtes publiques préalables à autorisation ne concernent malheureusement que les grosses installations.
Pour conclure, nous ne pouvons que déplorer, comme pour tout sujet relatif aux défis environnementaux, l’insuffisance d’une communication pédagogique en amont des projets, qui permette l’efficience des processus de consultation et de concertation nécessaires pour comprendre les enjeux, évaluer les risques, éviter les potentielles dérives, favoriser la visibilité des bonnes pratiques, évaluer la pertinence des actions et faire des propositions.